Pour Suivre Grégory (III)

Publié le par Pr Nico Lestairol & Dr Georges Cloonesque

"Une année dans la peau de Grégory Bourillon" (ou l'itinéraire d'un enfant pas comme les autres)


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Durant des millénaires, la forêt de Saint-Germain-en-Laye avait été un véritable havre de paix pour les espèces animales qui y vivaient. Trois mille cinq cent hectares de verdure faisaient le bonheur des centaines de chouettes hulottes, sangliers, chevreuils, renards, y évoluant en toute quiétude. Un écosystème complexe et néanmoins harmonieux que seuls les ballons perdus tombant du ciel, issus des frappes de balle incertaines de Pascal Nouma, étaient un temps venus troubler.

Mais cet état de totale sérénité appartenait maintenant au passé. Désormais, planait sur cet environnement protégé une menace bien plus grande que le réchauffement climatique, ou que l’appétit vorace de promoteurs immobiliers corrompus. Désormais, ce lieu à la faune unique et préservée pendant des siècles et des siècles était devenu le terrain de chasse d’un être mentalement dérangé, capable des pires cruautés et dont la soif de sang n’avait d’égal que sa médiocrité technique balle au pied. Un être sadique, sanguinaire, prenant autant de plaisir à mutiler des animaux qu’à réaliser des tacles au niveau de la pomme d’Adam. Et cet être abject, infâme, avait un nom : Mateja Kezman.



Oui moi avoir mis fusil à moi ici sur maman Bambi

Tout cela, Grégory Bourillon le savait. Grégory avait vu ces cadavres d’écureuils égorgés, ces carcasses de hérissons déchiquetées, ces corps sans vie de petits marcassins tout mimi victimes d’actes de barbarie atroce. Aussi, quand les lumières du centre d’entraînement s’éteignirent, qu’il se pensa d’abord seul et enfermé dans ce vaste et sombre bâtiment, puis qu’il se rendit compte alors de la présence de Mateja à ses côtés, il poussa un cri d’effroi qui retentit jusqu’au cœur de la forêt.

- «Toi pas avoir peur. Mateja être ami de toi.»
- «Noooooon, au secouuuuuuurs, à l’aiiiiiiiide !»
- «Toi pas crier. Nous simplement être bloqués à l’intérieur.»
- «Ne m’approchez pas ! NE M’APPROCHEZ PAS !!»

Dans la lueur glauque des panneaux d’issue de secours, Mateja Kezman sortit alors des vestiaires, et se dirigea vers le couloir. Grégory se précipita sous un banc, se roula en boule, et resta ainsi, tétanisé par la terreur.
Plusieurs minutes passèrent, quand un bruit de pas approcha. Grégory cru que sa dernière heure était venue, mais une voix rassurante se fit entendre.

- «Héhoo….y’a… y’a quelqu’un ?». C’était Sylvain Armand, qui lui aussi était resté bloqué dans le centre d’entraînement.
- «Oui, c’est Grégory. Je suis là. Aide-moi !»
- «Aaah… Grégory… mon petit ami que j’aime très fort…»

Grégory sortit de sa cachette et observa Sylvain, qui n’avait pas l’air dans son état normal.

- «Vite Sylvain, il faut faire quelque chose, on est enfermés avec Mateja ! Il faut absolument réussir à sortir d’ici.» dit Grégory.
- «Ouaiiiii, on va sortir… dans la nuit des étoiles…». Les paroles de Sylvain étaient étranges. Il s’exprimait avec des mots, mais qui ne faisaient pas des phrases. Grégory remarqua alors que Sylvain tenait quelque chose dans sa main.

- «Sylvain, ça va ? C’est quoi ce truc que tu tiens ?» demanda Grégory.
- «C’est du pinard !! Et c’est du bon… hips.. j’peux t’le dire…»
- «Mais… Sylvain… Tu es saoûl ?»

Effectivement, Sylvain était complètement beurré. Il était resté au Camp des Loges après l’entraînement, pour se taper incognito les bouteilles de champagne qui avaient été prévues en cas de qualification européenne l’année dernière, mais qui n’avaient jamais été utilisées. Grégory comprit ainsi pourquoi Sylvain était souvent tout rouge : ce n’était pas qu’il était albinos comme sa maman l’avait prétendu, mais c’était en fait un alcoolo fini. Et en ce moment, il titubait, se vautrait lamentablement contre chaque porte de casier resté ouvert, et tenait des propos incohérents.

- «Ecoute moi bien petit… ce que j’peux t’dire… c’est qu’on peut boire mille fois un verre, mais on ne peut pas boire mille verres une fois…»
- «Quoi ? Bon, Sylvain, il faut sortir de là ! Mateja est avec nous, c’est dangereux !»
- «Mais Mateja… mais je l’emmeeeerde moi ! Elle est où la pute bosniaque là, j’vais lui montrer moi !!». En plus d’être alcoolique, il s’avérait que Sylvain était aussi raciste et avait -bizarrement, vu son attitude de Bisounours sur le terrain- l’alcool violent.
- «Regarde Sylvain ! Une fenêtre est restée ouverte, passons par là !»

Grégory et Sylvain passèrent donc par la fenêtre. Grégory courra le plus vite qu’il put en dehors du centre d’entraînement, tandis que Sylvain trouva qu’il n’était finalement pas trop mal installé au-dessus de cette plaque d’égout, et décida de dormir là.


Le lendemain matin, la mère de Grégory Bourillon déboula en furie dans le bureau d’Antoine Kombouaré. Elle hurlait, criait, c’était un scandale, comment avaient-ils pu mettre la vie de son fils en danger, ça allait pas se passer comme ça cette histoire, etc. Antoine, lui, ne réagissait pas. Il caressait du bout des doigts une photo où on le voyait en compagnie de Rudy Mater, Rafaël Schmitz et Milan Bisevac, tous ensemble en train de bastonner Pancho Abardonado à coup de fricadelles. Il se remémorait tous ces bons moments passés avec ses défenseurs, ces restes de chevilles de l’attaquant adverse qu’ils s’amusaient à chercher sur la pelouse de Nungesser une fois le match terminé. Franches rigolades et souvenirs émouvants, seules reliques d’une romance désormais terminée. Ah ça, c’est pas ici qu’il retrouverait un défenseur central avec la vista d’un David Ducourtioux., pensa-t-il. Il se leva de sa chaise.

- «Madame, je suis désolé pour votre fils, mais il faut qu’on y aille là.»
- «Monsieur Kombouaré, j’exige une explication !»
- «Il y a eu une panne de courant et il a pris peur, c’est tout…»
- «Monsieur Kombouaré… mon fils est tout ce qui me reste, vous comprenez ? Vous devez le protéger, c’est la seule chose qui me retient à la vie depuis le départ de son père.»
- «Madame Bourillon… Toutes mes condoléances, je ne savais pas que le père du petit n’était plus là.»
- «Depuis qu’il est reparti dans le Béarn, c’est dur pour moi vous savez.» Une larme perla sur les joues de la maman de Grégory.
- «Dans le Béarn… Mais, comment ça ?» demanda Antoine.
- «Oui, son père nous a quitté il y a plus de quinze ans maintenant, pour refaire sa vie à Pau… Pour « vivre son rêve » comme il disait.»
- «Ah, il n’est pas mort alors. Mais il faut le retrouver ce salaud, vous avez vu ce que son départ a fait à votre fils ?»
- «Oui, je sais, son père est parti quand Grégory avait à peine 10 ans, et ça l’a tellement traumatisé, qu’il est resté comme bloqué à cet âge là.»
- «C’est horrible… donnez moi son nom, je vais voir si je peux faire quelque chose pour vous.»
- «Il s’appelait… enfin, il s’appelle… François Bayrou».

Le regard d’Antoine s’illumina. Tout devenait clair maintenant. Ce refus de voir la réalité en face, cette négation de l’adversité inhérente à la construction de liens sociaux, cette passion pour les Pokemon : Grégory Bourillon était le fils caché de François Bayrou !

- «Mon Dieu… Ecoutez, Madame Bourillon, je vais voir ce que je peux faire. En attendant, pour ne pas traumatiser le petit, je titulariserais Sammy Traoré encore cette fois-ci pour le match de ce soir. »
- «Merci Antoine… Vous êtes un homme bon vous savez ?»


Les enfants ayant cette faculté étonnante d’oublier un événement aussi vite que celui-ci est arrivé, une fois entré sur la pelouse de Nungesser Grégory s’installa tranquillement sur le banc, comme à son habitude. A l’opposé de Mateja, quand même, mais à côté de son nouvel ami du banc, le petit Clément Chantôme. Les deux s’entendaient plutôt bien, et avaient leur gentillesse et leur intérêt pour les Pokemon comme dénominateur commun. Sur la pelouse, Mévloutre le nouvel attaquant faisait 90% du boulot, et Sammy Traoré ne faisait rien de bien, comme à l’accoutumé. Les deux comparses en profitèrent alors pour se lancer dans une partie effrénée de Docteur Maboul :

- «Ouaiiii, j’ai réussi à attraper les adducteurs de Hoarau !»
- «Roooh, la chance, moi j’y arrive pas avec la cuisse de Zoumana !»
- «C’est parce que le réseau veineux superficiel est situé au-dessus des muscles sus-aponévrotiques, tu dois passer par les valvules du ligament linguinal.»

Grâce au Docteur Maboul et à l’inventivité sans bornes des joueurs du PSG en ce qui concernait les blessures, Grégory et Clément avaient maintenant une connaissance encyclopédique de l’anatomie du corps humain. Vers la fin du match, Antoine appela Clément pour qu’il entre sur le terrain. Rentrée anecdotique si elle en fut, Clément n’ayant qu’à l’esprit la partie de HippoGloutons qu’il venait de commencer avec Grégory.

Le match se finit finalement sur la victoire du PSG, Grégory et Clément purent reprendre leur partie de HippoGloutons dans le car, tandis que Sylvain commençait des concours de jeux à boire avec les habitués de la buvette de Nungesser. La nuit tombait sur Valenciennes, les joueurs du PSG rentraient à Paris (sauf Sylvain, qui dormirait sur le bar de la buvette de Nungesser), et les animaux de la forêt de Saint-Germain se remettaient à trembler.

Publié dans Niais visage for men

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