Pour Suivre Grégory (VI)

Publié le par Pr Nico Lestairol & Dr Georges Cloonesque

"Une année dans la peau de Grégory Bourillon" (ou l'itinéraire d'un enfant pas comme les autres)


Chapitre 6 : Du Grégorififi à Paname

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Aimeeer
C’est ce qu’il y a de plus beauuu
Aimeeer
C’est monter si hauuut
Et toucher les ailes des oiseauuux
Aimer....


Aaaah, l'Amour... quoi de plus émouvant que les premiers émois d’une jeunesse insouciante ? Quoi de plus attendrissant que les érections matinales d'un adolescent pré-pubère pensant à sa bien-aimée dés le réveil ?

Ce matin encore, Grégory se réveilla en sueur, pris le paquet de Kleenex posé sur sa table de chevet, et essuya ses draps. Ce matin encore, il commençait sa journée en pensant à la fille dont il était tombé follement amoureux la semaine dernière, en cette douce soirée d’automne. Ce matin encore, son cœur était noué de savoir qu’il allait probablement être rejeté comme une merde par celle qui hantait ses jours et ses nuits. « Et merde, j'en ai encore foutu partout... bon allez, à la douche » se dit-il.

Mais, tandis qu’il se shampouinait avec du P’tit Dop qui ne piquait pas les yeux et évitait les nœuds, il repensait à la première fois qu’il avait vu sa dulcinée. C’était il y a 5 jours, après s’être encore fait engueuler par Antoine parce qu’il mangeait des Dragibus au lieu de se concentrer sur la séance vidéo. Il était sorti de la salle de projection, et errait dans le Camp des Loges. Au loin, sur un des terrains en stabilisé, les filles du PSG était en train de faire un toro. Il s’était approché, et là, un éclair avait parcouru son cœur.

Farida El-Kourkari était défenseuse centrale dans l’équipe féminine des moins de 17 ans du PSG. C’était un joli brin de fille aux grands yeux noirs comme la nuit, et aux longs cheveux noirs comme la nuit aussi, sauf que la nuit des cheveux était encore plus noire que la nuit des yeux. Du haut de ses 95 kilos toute chaussée de ses crampons de 18 aiguisés, elle venait de tacler à l’omoplate une de ses coéquipières qui s’en était sortie miraculeusement avec seulement une fracture des cervicales. Une telle fougue, une telle rage de vaincre dans un corps aussi harmonieux : il n’en avait pas fallu plus pour que Grégory tomba complètement love. Il se renseigna un peu et apprit qu’elle était la nouvelle recrue, toute droit sortie du centre de formation d’Aubervilliers. Et en effet, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’avait pas sa langue dans la poche : « Vazy lâche moi grosse merde, va » était son leitmotiv vis-à-vis de Grégory depuis qu’il avait tenté une approche qui s’était soldé par un cuisant échec.


 

                                                                 Une photo de Farida El-Kourkari, au petit-déjeuner


Une fois douché, Grégory prit la direction du centre d’entraînement. Presque inconsciemment, il se dirigea vers les terrains en stabilisé du fond, pour voir l’élue de son cœur à l’œuvre. Elle était là, en train de s’étirer les tibias en les frappant sur les poteaux de la main courante. Il lui adressa courageusement un « Bonjour Farida ». Un « Kestuveutoi, baltringue ?» lui arriva comme seule réponse, tandis qu’elle se mettait à jongler avec des médecine ball. Malgré ce nouveau gros bâche dans sa gueule, Grégory n’en démordait pas : c’était elle, et personne d’autre. Mais comment lui faire prendre conscience qu’ils étaient fait pour être ensemble ? Comment la convaincre d’accepter ne serait-ce qu’une petite barbe-à-papa après un petit tour de manège ? Comment faire pour que cette altière personne daigne poser autre chose que ses crampons sur lui ?

Un peu en galère d’idée, il décida d’envoyer « poème » au 81313, des fois que ça l’aide. Et il ne fut pas déçu. Il reçut quelques minutes plus tard une magnifique ode à sa Shéhérazade du neuf-trois :

« Tu me fais tourner la tête
Mon Rothen à moi, c’est toi
Tu n’es pour moi qu’une lettre
Comme ce point que j’aimerai atteindre chez toi. »

Cela laissa Grégory dubitatif, et il décida finalement de tenter sa chance sans l’aide de SMS. Il retourna sur le bord du terrain, Farida venait de tuer une vache qui broutait tranquillement dans le pré d’à côté sur un dégagement mal contrôlé. Il prit une grande inspiration : « Farida, euh… est-ce que tu voudrais… euh enfin, je me demandais si...»
Elle le coupa net : « Bon, c’est bon, tu m’saoules toi, tu me diras ça quand on sortira du centre, bouffon ». Grégory n’en crût pas ses oreilles. Elle acceptait de lui parler !!

Il attendit alors sagement la fin de l’entraînement des filles. Elles sortirent une à une des vestiaires. Le cœur de Grégory battait la chamakh comme jamais. Farida arriva : « Tiens, porte moi ça, c’est mes haltères » dit-elle en lui jetant dans les bras un gros sac de sport pesant bien son quintal. Grégory n’en revenait pas : ce sac, empli d’une odeur de sueur qui pour ses narines était l’équivalent d’un nectar aphrodisiaque, était bien à elle. Et il le portait dans ses bras… Les lèvres glossys de Farida s’écartèrent alors doucement, et de sa voix chaude comme le sable du désert, elle parla : « Bon, vazy crevard, t’as quelque chose à me dire apparemment ? ». Grégory voulut lui dire à quel point il la trouvait belle, à quelle point il la désirait. Mais, tétanisé par la timidité et l’émotion, et à son grand désarroi, il ne put piper mot. « Bon, t’es vraiment chelou toi… Allez, j’me casse ».

Grégory la regarda s’éloigner sur sa 125 ; les larmes lui montèrent aux yeux. Il prit le chemin des vestiaires des garçons.

Dans les vestiaires, la majorité de ses coéquipiers étaient déjà là. Ils virent tout de suite que quelque chose n’allait pas chez Grégory.

- « Bah alors Grégory, qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Ludovic.
- « Bah ouai, t’en fais une tête… » reprit Claude.
- « C’est Farida… elle m’a encore mis un vent… » murmura Grégory.

Ludovic prit Grégory par les épaules, et l’amena dans un coin pour parler tranquillement. Ludovic dit : « Ecoute, crois-en mon expérience, les meufs ce qui les fait craquer c’est les textos romantiques. Moi j’le fais souvent, ça marche à chaque coup. Vas-y envoies lui un truc là, maintenant, tu verras ».

Grégory n’était pas très sur, mais il s’exécuta, ne voulant pas lâcher l’affaire aussi rapidement. Faut dire qu’il n’était toujours pas déniaisé, et à son âge cette virginité commençait à lui triturer fortement le slibard. Il réfléchit bien, et se lança dans l’écriture d’un texto ultra-romantique. Si elle avait accepté de lui parler tout à l’heure, ça voulait dire qu’il y avait moyen. Plein d’espoir, il envoya : « T’es trop ma bien-aimée. Je te kiffe comme je kiffe faire un double-contact. Tu es comme un Ballon d’Or, sauf qu’en vrai t’es une fille »... Bon, ça rimait pas du tout, mais il s’en foutait. L’important était qu’il avait osé. Cinq minutes plus tard, il reçut une réponse : « MDR ! C’est ça ouai, j’préfèrerais encore sortir avec Daniel Moreira »... Stupeur. Désillusion. Ce coup bas l’acheva. Il se retrouva instantanément plus bas que terre. Et oui, des fois, la lueur au bout du tunnel, en fait c’est le train.

Peu après, voyant Grégory complètement effondré, Claude s’approcha. Il le consola, lui dit des mots réconfortants. Il lui donna lui aussi des conseils.

- « Nan mais pourquoi t’as écouté Ludo aussi… Ecoute plutôt un vieux briscard comme moi. T’as vue Noémie Lenoir ? T’as vu la bombasse ? Et bien trop easy j’me la suis faite. »
- « C’est vrai qu’elle était jolie… » répondit Grégory.
- « Déjà, il y a quelque chose d’important. Et ça, les filles te l’avoueront jamais, mais c’est même le plus important : la taille. Quelle taille tu fais toi Grégory ? »
- « 1 mètre 87.»
Claude regarda alors Grégory avec stupéfaction.
- « Et beh… Respect mon frère…. Bon bah t’inquiètes pas, ça devrait le faire là… »
- « Ah bon ? » demanda Grégory
- « Ah ouai, là j’te jure c’est bon. Ecoute mec t’as juste à aller lui parler, la faire rire un peu, et faire en sorte qu’elle se frotte vite fait à toi. Et c’est dans la poche, garanti ».

 

 

                                                   En Suéde, le football féminin est une religion. On comprend pourquoi.

 


Grégory n’avait pas tout saisi, mais le fait est qu’il était complètement rassuré. Le lendemain, rempli de confiance en lui grâce à ce que lui avait dit Claude, il irait faire rire Farida et la frotter un peu.

Le lendemain, donc, Grégory faisait le pied de grue devant le vestiaire des filles. Il avait bien réfléchi à ce qu’il allait lui dire, il allait la pécho ça allait pas faire un pli. Quand elle sortit, il avança vers elle d’une démarche chaloupée et lança : « Hey poulette, ça roulotte ? ». Farida fronça ses épais sourcils et marmonna : « Mais kesk’il me fait lui encore… ? ».
Grégory engagea la conversation. Il lui parla de ses DVD de Dora l’Exploratrice, de sa mamie en Bretagne, de sa passion pour les Pokemon. Farida n’avait pas l’air emballée. C’était le moment de la faire rire :

- « Sinon, j’ai appris qu’en fait tu venais du Yémen ? » demanda-t-il
- « Ouai, ouai… »
- « Et tu sais c’est quoi le pays le plus cool du monde ? »
- « Non, je sais pas… »
- «C’est le Yeaaaah, man.»

Farida, comme tous les lecteurs de cette saga, fut consternée par le niveau affligeant de cette blague. Sa tentative d’humour était clairement tombée à l’eau. Tentant le tout pour le tout, Grégory la prit par la taille -enfin… le ventre; enfin… les abdominaux surdéveloppés-, et se frotta à elle. Ni une ni deux elle lui fit un ashi-guruma enchaîné par un hane-gohi, qui mirent Grégory par terre. « Ça va pas non !! La prochaine fois que tu m’fais ça j’te bute direct, j’te préviens ! ».

Une heure plus tard, Grégory était sur un lit d’hôpital, se tordant de douleur. Les médecins diagnostiquèrent une sciatique sévère doublée d’un arrachement du tendon rotulien. Trois semaines d’indisponibilité. Trois semaines pour élaborer un plan. Dans trois semaines, elle serait sienne. Peut-être…

Publié dans Niais visage for men

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M
<br /> merci pour cette article<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Merci pour votre merci. Vous nous voyez comblés si ce modeste billet a pu vous occuper ne serait-ce que quelques minutes durant votre dure journée de fainéant assisté.<br /> <br /> <br />